Helene Picard

Helene Picard

Portraits de nonnes (Sabbat)

Portraits de nonnes 

dans le roman "Sabbat", 1923

 

   Quant aux nonnes de mon adolescence, en voici quelques-une: Madame saint Paul, la potinière imbécile à la voix chaude de garçon. madame saint Eustache, si goinfre et si pieuse - au couvent, ça va ensemble la ferveur et la boulimie - et dont les borborygmes étaient aussi zélés que les rosaires.. madame sainte Rosalie, grotesque et apoplectique - cou énorme et voix de fausset - étouffée par la pléthore, l’hypocrisie et l’eau bénite. madame saint Pascal - la supérieure - à la tête de Jésuite mondain, au sourire prudent et gâté, douce, molle, douteuse, fruit blet et véreux des greniers célestes. Madame sainte Augustine habitée, au ventre, par le fibrome et, à l’âme, par la perfidie élégiaque. Madame saint Bernard, “le Voltaire” du couvent, l’encyclopédiste” suspecte à la supérieure, mais si pittoresquement parente du vase étrusque, du gendarme et du requin que la sympathie qu’elle nous inspirait, nous la répandions en éclats de rire irrévérencieux sur ses pas.

   Oublierai-je Madame saint Roch, brutale et obtuse, punissant en masse, comme Jéhovah, chien hargneux du Bon Pasteur, fanatique conductrice de tribu, ayant - la malheureuse! - du poil et des clefs partout? Sa lourde mâchoire, son lourd crucifix, sa lourde sonnette faisaient d’elle un Dominique à la colère permanente, mais, de temps à autre, comme elle était une passionnée de l’Eucharistie, elle beuglait le nom de Jésus avec une impudeur désespérée, et nous apercevions, alors qu’elle possédait de ravissants yeux bleus.

   Oublierai-je Madame saint maurice, cordiale intelligente, intelligente, généreuse, en tous lieux, sauf, le soir, au dortoir? Là, quand nous nous déshabillions, qu’il s’agissait, pour nous, de nous précipiter vers la secrète “petite chambre”, et que la trompette d’Astaroth résonnait à ses oreilles, elle éteignait brutalement le gaz, frappait son sein creux d’un poing sonore et vociférait des litanies à la chasteté qui, par réflexe, nous faisait songer au libertinage.

   Je dois, encore, citer madame saint Agathe, momie et guenon, yeux jaunes et peau jaune, correcte, insensible, posant le même regard fixe et luisant sur l’ostensoir, à la chapelle, et sur le bain de pieds des enfants, à la buanderie… Madame saint Lucien si dure aux orphelines, avec une face camuse, sylvestre et brune, mais couvrant de fanfreluches blanches et bleues sa nièce, cette sanguine et coléreuse Marie-Thérèse, consacrée par la marâtre à la “Bonne Mère” de tous.

   Et place à Madame saint Marie du Jourdain ou du Liban - je ne sais plus - aux yeux de veau supplicié, à l’odeur néfaste, qui, la cinquantaine dans sa rotondité flasque et sa hauteur démesurée, taquinait, dans un rondeau, les “fâcheux” trente ans d’une de ses soeurs en religion, célébrait, dans un madrigal, les épousailles d’une novice encore un peu rétive et de l’Agneau enragé d’Amour, et, faisant, à tous coups, rimer: “Ange” et “fange”, racontait, dans une villanelle, ses transports, par les prairies divines, quand le lis de la vallée, à la ceinture et la harpe de David aux doigts, elle danserait en Dieu au milieu de ses “jeunes compagnes”.

   




11/02/2013
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